Quel risque court un héritier récalcitrant au partage ?

Quel risque court un héritier récalcitrant au partage ?

Un nombre très important de dossiers dont nous avons à connaître en qualité d’avocat en succession tiennent à la présence d’un héritier récalcitrant au partage, qui bloque toute possibilité de sortie de l’indivision.

Cet héritier récalcitrant estime généralement conforme à ses intérêts de retarder le partage de la succession.

Il peut ainsi rechercher un intérêt financier personnel dans le cadre de négociations dans lesquelles il exercerait des pressions en bloquant le partage des biens, ou bien agir ainsi en rétorsion de différends familiaux, ou encore ne pas voir d’inconvénient au statut de l’indivision, pourtant souvent très complexe à gérer dans les faits.

Si, de droit, le fait d’être et de demeurer dans l’indivision successorale ne peut être reproché à un héritier, puisqu’il s’agit d’un statut légal (I), un refus systématique et injustifié de procéder au partage peut, dans certaines circonstances, dégénérer en abus, susceptible d’ouvrir au profit des autres héritiers des droits indemnitaires (II).

 

I. L’indivision successorale, statut légal de la succession à son ouverture

Au jour de l’ouverture de la succession, c’est-à-dire en principe au jour du décès, les héritiers sont saisis de plein droit des biens ayant appartenu au défunt, au terme de l’article 724 du Code civil. Ils sont alors, de manière « automatique » et immédiate propriétaires indivis des actifs successoraux, sous le statut de l’indivision légale.

Régie par les articles 815 et suivants du Code civil, l’indivision successorale a ainsi vocation, de droit, à régir les rapports entre héritiers, sans limitation de durée (ce qui la distingue de l’indivision conventionnelle qui elle est nécessairement à durée déterminée).

Il en résulte que le fait pour un héritier de demeurer ou de vouloir demeurer sous le statut de l’indivision n’est pas en soit fautif.

L’indivision légale a cependant en pratique un régime juridique qui rend délicat son exercice.

On soulignera ainsi la nécessité en principe d’une décision unanime des indivisaires pour vendre de gré à gré un bien immobilier appartenant à la succession, ou encore la difficulté au quotidien d’assumer et de répartir les frais d’entretien et de réparation des actifs.

C’est pourquoi l’article 815 du Code civil, alors même qu’il est celui qui introduit le chapitre traitant du régime légal de l’indivision, en ouvre immédiatement la porte de sortie, en disposant que :
« Nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué, à moins qu’il n’y ait été sursis par jugement ou convention ».

De la même manière que l’indivision s’impose de droit à tous les héritiers au moment de l’ouverture de la succession, chaque héritier a donc, à tout moment, la possibilité d’en solliciter et d’en obtenir la sortie, de plein-droit, devant un Tribunal par une action aux fins de partage judiciaire si ce n’est de manière amiable et négociée.
C’est en raison de cette prérogative permettant à l’héritier de sortir quand il le souhaite de l’indivision que le comportement d’un autre héritier, qui s’opposerait pour des raisons injustifiées au partage, peut dégénérer en faute.

 

II. Le risque de condamnation indemnitaire de l’héritier s’opposant abusivement au partage

Comme il a été rappelé, le fait de vouloir demeurer dans l’indivision n’est pas, en soi, un comportement fautif. Pour constater une faute de l’héritier récalcitrant au partage, il faut donc démontrer de sa part une opposition ferme et injustifiée au droit d’un ou de plusieurs autres héritiers de sortir de l’indivision.

Lorsque le refus de partager la succession s’appuie sur un motif objectif et raisonnable, la faute n’est en principe pas caractérisée.

On peut ainsi par exemple parfaitement comprendre qu’un héritier refuse un partage amiable tant que ne sont pas prises en compte dans l’actif successoral et rapportées à la succession des donations reçues par un autre indivisaire.

Il en est tout autrement lorsque l’héritier récalcitrant procède au blocage en ne s’appuyant sur aucun motif raisonnable si ce n’est son intérêt personnel ou un simple désir de revanche ou encore s’il se prévaut de motifs infondés et injustifiables juridiquement. S’appliquent alors les règles générales de la responsabilité civile selon lesquelles, lorsqu’une faute est constatée ainsi qu’un préjudice, et qu’un lien de causalité suffisant existe entre eux, l’auteur de la faute doit être condamné à des dommages-intérêts au profit de la victime à hauteur du préjudice subi.

Ainsi, par exemple, notre cabinet a récemment eu à traiter d’un dossier dans lequel, malgré le fait qu’ils ont entretenu les apparences d’une volonté de partage de la succession, les enfants d’un premier lit du défunt avaient en réalité mis sa seconde épouse dans l’impossibilité d’en accepter les termes.

En effet, en raison de difficultés d’interprétation du régime matrimonial ayant lié le de cujus à son épouse survivante (le mariage ayant eu lieu dans un pays étranger), les enfants du premier lit ont tenté d’imposer à cette dernière dans le cadre de pourparlers, puis devant les juridictions, l’application d’un régime matrimonial de séparation de biens, en lieu et place du régime de communauté qu’elle revendiquait et qui lui était évidemment plus favorable en lui attribuant de facto outre sa part d’héritage la moitié des biens communs.

Le Tribunal de Grande Instance puis la Cour d’Appel de Paris ont accueilli favorablement notre argumentation et, retenant l’application du régime matrimonial de communauté, ont constaté qu’en mettant dans l’impossibilité le conjoint survivant d’accepter le partage, la partie adverse avait en réalité retardé ce partage et causé de ce fait un préjudice à leur cohéritière.

Outre un partage conforme aux intentions de l’épouse survivante, le Tribunal de Grande Instance puis la Cour d’Appel ont de ce fait prononcé une condamnation indemnitaire à l’encontre des héritiers adverses.

En conclusions, il convient pour l’héritier d’éviter d’apparaître dans une position de blocage trop systématique de la succession, hormis s’il peut se prévaloir de raisons légitimes et conformes juridiquement.

Cette situation s’apprécie en fonction des circonstances, au cas par cas.

A défaut, il serait susceptible de s’exposer à des condamnations pécuniaires (dommages-intérêts) qui peuvent être substantielles.

Avocat au barreau de Paris, je vis ma profession d’avocat comme un engagement absolu aux côtés de ma clientèle, fait de rigueur, de réactivité et d’appui constant et serein, dans le respect des normes déontologiques.